Depuis plusieurs mois, les skippers et leurs équipes s’emploient afin d’être prêts le jour J. Au-delà de l’aspect technique, les préparations physique et mentale jouent un rôle crucial pour parvenir à conserver la concentration et l’influx nerveux nécessaires pour tenir la distance et s’autoriser le droit à rêver d’un retour à Brest à l’issue d’une cinquantaine de jours en mer.
Ils sont tous marins, ils sont devenus ingénieurs, ils ont des notions pointues en matière de météo et… ils sont aussi de sacrés athlètes. Les six skippers de l’ARKEA ULTIM CHALLENGE – Brest ont bien changé par rapport à leurs aînés qui défiaient les océans, et cela se perçoit facilement à leur forme physique. Il faut bien avoir en tête le challenge que constitue chaque manœuvre, près de 45 minutes d’effort dont un temps conséquent à la colonne de winch. La colonne, c’est ce qu’Armel Le Cléac’h (Maxi Banque Populaire XI) appelle « le vélo à bras ». Et quiconque s’y est essayé, dans un effort aussi long que sur un ULTIM, connaît la sensation de chaleur qui monte dans les avant-bras, les muscles qui se contractent, le bas du dos qui est sollicité, le front qui commence si rapidement à perler…
« Ça s’apparente à un trail plutôt qu’à un sprint »
« C’est un exercice que l’on prépare tout au long de l’année pour tenir le coup en matière d’endurance et de récupération », assure le skipper de Banque Populaire. « Ce n’est pas vraiment un travail de puissance, mais cela nécessite un bon cardio, du gainage aussi… En fait, ça s’apparente davantage à un trail plutôt qu’à un sprint », ajoute Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild). Il s’astreint à « trois séances de préparation physique » par semaine et apprécie la boxe, l’escalade, les sports de glisse, le running et le vélo. Cet hiver, Armel Le Cléac’h faisait du sport quasiment tous les jours avec des séances de natation, en salle de musculation ou à vélo…
Anthony Marchand (Actual Ultim 3) se contente surtout de « sport loisir » en pratiquant régulièrement kite, wing et surf. « Ça permet de travailler le cardio, tous les muscles et puis c’est toujours en lien avec le milieu ! ». Dans le même temps, tous se sont attachés à travailler l’aspect mental. « S’il faut répondre au défi physique que représente cette course, la dimension mentale est presque plus importante, confie Tom Laperche (SVR-Lazartigue). On ne peut pas négliger l’exigence de ces bateaux et l’impact que ça peut avoir sur la durée ». « L’aspect mental est sans doute plus précieux que le physique sur cette course », abonde Charles Caudrelier.
« Ce n’est pas une course, c’est une expédition »
Thomas Coville (Sodebo Ultim 3) est le participant qui a connu le plus de tours du monde en multicoque. Il en a disputé cinq, l’a achevé à trois reprises et a été un temps détenteur du record autour du monde (49 jours et 3 heures en 2016). Il raconte : « Nous devons trouver la bonne attitude face à ce défi unique et singulier. Il y a une dimension psychologique très forte. On cherche constamment le dépassement de l’effort, le dépassement de soi pour aller au-delà de l’effort malgré l’absence de sommeil, le risque, les frustrations, l’angoisse, les glaces… » Pour le skipper de Sodebo Ultim 3, cela dépasse largement le cadre d’une compétition sportive. « J’aime me dire que l’on ne part pas pour une course, mais qu’on rentre en expédition. »
Difficile d’imaginer la difficulté de conserver son sang-froid, de ne pas se faire envahir par les doutes et la fatigue qui ronge. Thomas Coville encore : « Il y a des jours où tu exploses en sanglots, des jours où tu hurles, des jours où tu deviens fou… Tu finis par être un mix entre une gueule cassée et un grognard. »
« Ce que je recherche, c’est une forme d’équilibre »
Pour y faire face, chacun sa méthode. Charles Caudrelier et Tom Laperche consultent régulièrement un préparateur mental. Le marin du Maxi Edmond de Rothschild explique : « Avec mon préparateur physique, je suis très cartésien, très pragmatique. On évoque la fatigue, la récupération, la nutrition… Il y a forcément un moment où tu es crevé sans te rendre compte que tu es dans la zone rouge. » Tom ajoute : « On sait qu’il y aura des moments d’euphorie, des moments plus durs moralement et il faut parvenir à lisser ces émotions au maximum pour créer la meilleure performance possible. »
Il y a ceux, aussi, qui n’ont pas de préparateur physique. C’est le cas d’Anthony Marchand et d’Armel Le Cléac’h. Le premier assure « n’en avoir pas spécialement envie ». « Si tu as déjà fait un tour du monde, tu sais à quoi t’en tenir, tu sais sur quoi te focaliser, ajoute-t-il. Moi, je suis un bizuth : je pars la fleur au fusil et forcément je me pose un peu moins de questions. » Fort de son expérience, Armel Le Cléac’h, lui, préfère se focaliser sur la préparation. En somme, maîtriser au maximum tout ce qui compose l’avant-course pour être libéré au moment du départ. « Je tente de cocher toutes les cases avant les grands départs, reconnaît-il. Ce que je recherche avant tout, c’est une forme d’équilibre en préparation physique, technique, en matière de récupération aussi. » Un puzzle à assembler, case par case qu’il compare parfois « au travail en amont d’un spationaute avant le décollage d’une fusée ». Et pour leur décollage à eux, au cœur des océans, il faudra attendre le 7 janvier prochain.