Le Maxi Edmond de Rothschild amarré depuis mercredi matin à un ponton du port de Horta, aux Açores, Charles Caudrelier et sa cellule de routage scrutent la météo, et l’évolution de la tempête Louis, qui déferle la façade atlantique de l’Europe et obstrue la route maritime. Le marin est dans l’attente du bon moment pour parcourir les 1200 milles qui le séparent de la ligne d’arrivée.

Louis, c’est le nom prêté à la grosse dépression de nord-ouest qui balaie actuellement l’Europe, du sud de l’Irlande à Lisbonne. Louis présente des mensurations fort respectables : plus de 1000 milles d’épaisseur, près de 2000 milles de longueur. Ainsi, tandis que l’avant de la dépression frictionne déjà le Finistère, le Morbihan et l’intérieur des terres, son arrière-train frotte encore les côtes ciselées du Groenland. Louis est un costaud. Ses vents à 35-40 nœuds à l’avant forcissent encore en son centre : les fichiers météo annoncent jusqu’à 46 nœuds. Soit probablement cinq nœuds de plus dans la réalité, avec des accélérations qui pourraient monter jusqu’à 70 nœuds. Sur son passage, la dépression soulève la mer à plus de huit mètres ; au centre, on repère des prévisions de vagues de 12,7 mètres.

Un phénomène pas rare pour la saison, bien entendu, mais qui a ce petit côté dissuasif que Michel Audiard avait un jour si bien résumé dans “Cent mille dollars au soleil”, dans une réplique de Jean-Paul Belmondo : “Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de soixante kilos les écoutent.”

En escale technique dans le port de Horta depuis mercredi 21 février, 6h00, le Maxi Edmond de Rothschild attend que passe la tempête pour reprendre sa route. Cela serait un contresens que de questionner le courage de Charles Caudrelier et des membres de Gitana Team, qui ont plus d’une fois démontré l’étendue de leur engagement et leur maîtrise du pilotage entre l’air et la mer. Mais Louis s’est fait entendre. Louis a été entendu. Et c’est la voix de la raison qui est sortie de la bouche du skipper. Auprès de son équipe, il a résumé la situation : “Le problème, c’est que, là, j’avais déjà une grosse mer de 8-9 mètres de Nord-Ouest, mais qui était assez longue et assez belle. Donc on pensait passer dedans – à 8-9 mètres ce n’est pas très grave, surtout s’il y a des écarts entre les vagues… Le problème, c’est que je n’arrivais pas à aller assez vite pour rester devant la deuxième dépression, il fallait que j’aille à plus de 30 nœuds et on n’était pas sûr de pouvoir le faire dans ces conditions de mer. Donc ça veut dire que si je me faisais rattraper par l’autre dépression, le vent tournait, changeait de direction à 180° et pouvait fortement se renforcer. C’est souvent ce qui fait les grosses tempêtes qu’on peut avoir. Cela fait du vent opposé à la mer, très fort, deux mers qui se croisent, et donc une mer très dangereuse pour les bateaux.”

Horta est à un peu moins de 1200 milles de la ligne d’arrivée. Lorsqu’il repartira, Charles Caudrelier devrait trouver des conditions à même de lui offrir les moyens d’aller vite. Mais quel sera alors l’état de la mer ? L’avance qu’il a conquise durant les 43 jours de course qui ont précédé son escale technique (stratégique ?) lui permet de choisir sans pression son retour en course et l’engagement qu’il devra mettre pour glisser jusqu’à la ligne d’arrivée, sans s’imposer de prise de risques inutiles. Charles Caudrelier : “On s’oriente plutôt vers la sagesse, la grande sagesse même – même si l’impatience est là – d’attendre samedi, où nous avons une fenêtre tout à fait correcte. On peut se le permettre, parce qu’on a évidemment regardé Sodebo et les bateaux derrière, et la situation météo fait qu’ils seront derrière nous, pas très loin, mais entre lui et moi il y aura un anticyclone donc il y a aucune chance qu’il puisse me doubler en performance.”

Le retour des chasseurs

Immanquablement, quand le lion de la famille Rothschild est au port, les poursuivants dansent. Thomas Coville, qui s’est défait du Pot-au-Noir, est désormais à 1830 milles du leader. Au près dans un alizé pas très fourni, et embarqué sur une route qui le mène vers l’ouest, Sodebo Ultim 3 progressait à une quinzaine de nœuds ce jeudi après-midi. 500 milles en retrait, Armel Le Cléac’h s’attaque au Pot-au-Noir, assez étalé, mais qui va peut-être offrir une solution pour s’en échapper au skipper du Maxi Banque Populaire XI. Ces deux candidats au podium sont bien entendus directement concernés par l’escale technique du leader. Quels gains auront-ils réussi à cumuler durant son immobilisation ?

À 5200 et 5500 milles de Horta, point d’attache provisoire de Charles Caudrelier, Anthony Marchand et Éric Péron remontent le continent sud-américain. Le skipper de Actual Ultim 3, positionné dans le nord des îles Malouines, s’est éloigné vers le large ce jour, tandis que le marin de l’ULTIM ADAGIO, dans le nord des Falklands, se rapproche de la côte continentale. S’ouvre à lui la possibilité de remonter au tempo vers un anticyclone, et plus précisément sa bordure, qui pourrait lui permettre de se hisser à vive allure jusqu’au Brésil.