Dans ce premier acte, nous avons rencontré Fabrice SAINT-JEAN, un athlète au parcours remarquable. Peu auraient pu prédire qu’un remplaçant lors d’une compétition sportive au collège deviendrait champion de France de saut en hauteur. Il a rencontré des difficultés pour trouver des clubs prêts à l’accompagner, mais le SCO d’Angers Athlétisme lui a donné cette opportunité. Lors de notre entretien, il nous parlera de la manière dont il a découvert sa passion, ainsi que de sa relation avec Mickael Hanany, un adversaire de grande envergure. Enfin, il évoquera ses émotions lorsqu’il a été tout près de participer aux Jeux Olympiques de Tokyo et de Rio.
Bonjour Fabrice, pouvez-vous nous expliquer votre rencontre avec ce sport, le saut en hauteur ?
“Je suis originaire de Paris et j’ai découvert ce sport dans son ensemble, en milieu scolaire. Comme pas mal de petits jeunes, j’avais besoin de me dépenser au collège. Par le biais de l’Union Nationale du Sport Scolaire, je me suis retrouvé, par hasard, à participer à un événement de ce type. Dans un premier temps, je venais seulement pour dépanner. J’ai dû faire du saut en hauteur. Pourquoi ça et pas de la course ou du saut en longueur, je ne pourrais pas vous l’expliquer. Pour cette première compétition, je me suis retrouvé à faire 1 m 75. Évidemment, la personne qui m’avait demandé de dépanner ne s’attendait pas à ce que je réalise une aussi belle performance. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à réaliser qu’1 m 75 était vraiment bien. Elle s’attendait sûrement à un résultat aux alentours de 1 mètre 50.”
C’est donc Thierry PARDONNE qui vous a poussé à faire de la compétition ?
“Oui, effectivement. Il m’a demandé si je voulais venir de temps en temps pour participer aux entraînements scolaires. Le but était éventuellement de faire d’autres compétitions dans le futur. Pour moi, c’était l’un des meilleurs moyens d’échapper à l’école le mercredi. Le problème, c’est qu’on n’avait pas cours ce jour-là. Mais c’était parfait parce que ça me permettait de sortir de mon quotidien, de me faire de nouveaux amis et de découvrir une nouvelle discipline. Ce sport m’a charmé, car j’enchaînais les records. C’était plaisant de chercher à en établir de nouveaux. Je suis passé d’1 m 75 à 2 m 28, ce qui montre qu’il y a eu beaucoup de travail et de progression. Bien sûr, il y a eu des obstacles, comme des blessures, qui font qu’après vingt-trois années de carrière, on se rend compte du chemin parcouru et de la patience nécessaire.”
Avez-vous toujours voulu, vous orienter vers ce sport ?
“Au début, je voulais faire du basketball, mais la curiosité m’a entraîné vers cette discipline. Je ne m’attendais pas à faire 23/24 ans de saut en hauteur. Je trouvais ça assez amusant parce que je ne devais pas être là. Au départ, ce n’était pas le chemin qui m’était destiné. C’était un sacré beau parcours.”
Vous avez commencé au club des Mureaux avant de rejoindre celui d’Issy-les-Moulineaux et celui des Mauges. Comment s’est passée la transition de la vie parisienne à la vie angevine ?
“La transition s’est faite de manière naturelle. Au départ, j’ai commencé dans une association scolaire, puis je suis passé à un club local. Ensuite, lorsque j’ai commencé à progresser, le club ne pouvait plus me soutenir pour atteindre un niveau élevé. Je souhaitais changer de structure. C’est ce qui s’est passé lorsque j’ai rejoint Issy-les-Moulineaux. Ils m’ont donné l’opportunité de poursuivre ma passion en étant rémunérés. J’ai pu progresser rapidement et investir dans des stages et dans des entraîneurs. Aujourd’hui, c’est ce qui fait la différence en termes de performance. Par la suite, j’ai rejoint l’Entente des Mauges et le SCO Angers Athlétisme. J’avais envie de m’investir dans d’autres projets de clubs où je me sentais concerné. L’environnement angevin m’a fait me sentir bien.”
Angers, était-elle la seule structure qui voulait vous accompagner ?
“À un moment donné, j’ai dû rédiger un dossier de sponsoring, car il est difficile de vivre de sa passion dans le domaine de l’athlétisme. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes et les bons clubs. Cependant, je me suis retrouvé dans une situation où mon club ne pouvait plus financer mon projet. Aujourd’hui, soutenir un athlète de haut niveau coûte très cher. Les clubs reçoivent des financements des villes, des collectivités, etc. Lors de cette période, les académies ne pouvaient pas me soutenir, car elles avaient des frais de formation et de fonctionnement à couvrir, en plus de mon projet. Si je voulais progresser, je ne pouvais pas le faire avec un budget limité. J’ai donc décidé d’utiliser ce dossier que j’ai envoyé à tous les clubs de France susceptibles d’être intéressés par mon profil. J’ai envoyé un nombre impressionnant de dossiers, en utilisant des méthodes plus traditionnelles comme les lettres et les e-mails. J’ai reçu très peu de réponses, car certains pensaient que c’était une blague. Sur une centaine d’envois, j’ai reçu trois réponses. Un club du Sud m’a même appelé pour vérifier si c’était sérieux. Le SCO m’a donc accompagné dans la poursuite de ma carrière.”
Pouvez-vous me parler de votre expérience aux championnats de France et de votre rivalité avec Mickael Hanany ? Quels enseignements avez-vous tirés de ces compétitions ? Pensez-vous que cela a renforcé votre mental ?
“On pourrait penser que la confrontation avec un ami proche peut devenir très tendue, voire malsaine, car on pourrait se dire : “Je vais tout faire pour l’empêcher de réussir.” Finalement, nous avons compris que cette stratégie ne fonctionnait pas, et cela ne nous correspondait pas. Nous avions besoin de nous challenger mutuellement. Lorsqu’il réalisait une performance, cela me poussait à me battre pour faire mieux. Nous partions en stage ensemble et nous nous donnions des conseils mutuellement en échangeant des vidéos pour discuter de notre technique. C’est ainsi que nous avons fonctionné, et nous avons beaucoup voyagé ensemble. J’ai eu l’occasion d’évoluer à un très haut niveau grâce à lui, car il m’a ouvert les portes de son entraînement aux États-Unis. Cela m’a permis de découvrir pleinement l’athlétisme français et étranger. Si nous ne nous donnons pas l’opportunité de découvrir ce qui se passe à l’extérieur, nous nous privons de belles opportunités. Je ne peux que le remercier pour cela.”
Vous avez manqué les Jeux olympiques à deux reprises. Comment avez-vous vécu cette déception ?
“Cela peut être décevant. Si l’on prend du recul et que l’on regarde les chiffres, on pourra dire que cela peut être frustrant, car j’ai travaillé très dur pour participer aux Jeux olympiques. Mais en réalité, je dirais que non. En 2012, j’ai raté les Jeux pour deux centimètres, c’est très peu, c’est insignifiant. Peut-être que j’ai manqué de travail, de confiance ou de temps. On attend d’un athlète d’être performant en permanence, ce qui est extrêmement difficile. Cette année-là, j’ai réalisé d’excellents résultats et la meilleure saison de ma carrière, battant notamment mon record personnel. Je suis même devenu l’un des leaders de ma discipline. Et pourtant, je n’ai pas pu participer aux Jeux olympiques, alors que j’ai participé aux championnats d’Europe. Oui, la déception a été grande. On travaille dur pendant quatre ans, car on vise une place en finale. Aujourd’hui, ceux qui disent : “Je veux juste me qualifier pour les Jeux olympiques” n’ont rien compris. Il faut travailler pour décrocher des médailles. Cela m’a marqué, mais cela m’a également permis de progresser sur le plan humain, sportif et professionnel. Cela laisse des traces, mais cela nous oblige à nous poser les bonnes questions pour transformer cet échec en force. On se dit : “J’ai commis une erreur une fois, je ne la referai plus. Je vais me construire différemment par la suite.” Est-ce que j’aurais dû arrêter l’athlétisme après cet échec ? Non, j’ai persisté, car je voulais devenir meilleur, même si les résultats ne suivaient pas. J’ai développé une grande force physique et mentale qui m’a ouvert les portes de nombreux événements. Je n’ai pas réussi à me qualifier pour les Jeux de Rio, mais ce n’était pas grave. J’ai continué à me construire professionnellement et à prendre du plaisir. C’était une étape, ce n’était pas grave. Il y a d’autres choses dans la vie.”
Est-ce que vous vous attendiez à une telle charge de travail lorsque vous étiez plus jeune ?
“Au début, quand on veut progresser, on sait qu’il faut en faire plus. Quand on est jeune, on ne réalise pas forcément cela et on tombe dans un idéalisme du sport. Mais en grandissant, j’ai pris tellement de plaisir que cela ne me dérangeait pas. J’ai toujours été passionné par le sport, donc si je pouvais vivre ma passion à fond, j’étais heureux.”