Prendre le temps, quelques minutes, même en étant lancé dans un sprint infernal. Chaque mardi, un skipper s’attache à répondre à nos questions, revenir sur les défis du moment et évoquer l’intensité de la course. Une semaine après Charles Caudrelier, place à Tom Laperche. Le skipper de SVR-Lazartigue, toujours leader en cet après-midi, est un homme heureux. Ça se voit sur les vidéos, ça s’entend derrière le smartphone. Tom nous a appelé à l’heure. Même si la connexion faisait parfois des siennes, on devine à chaque réponse son enthousiasme à revenir sur un début de course réussie de façon spectaculaire. Le marin n’oublie jamais qu’il y a moins de deux semaines, son équipe a remis le bateau à l’eau, ce qui renforce encore un peu plus toutes les petites joies du bord. Il a la voix de ceux qui profitent à fond, tout en gardant la lucidité et l’abnégation des skippers de grand talent. Confidences d’un marin qui ne boude pas son plaisir et qui sait si bien le transmettre.

Il fait encore très froid en France et cela n’a pas l’air d’être le cas pour vous… Pouvez-vous décrire les conditions que vous avez ?

“Moi aussi, je vais bientôt avoir froid ! Mais c’est vrai que depuis quelques jours, il fait chaud. Cela va commencer à se rafraîchir à partir de demain. Là, je suis en tee-shirt, la température est élevée, c’est agréable. On est au portant avec toute la toile, le grand gennaker, la mer est plate, c’est juste génial. Et on va avoir un peu plus de vent cette nuit.”

Vous êtes au coude-à-coude avec Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild) depuis plusieurs jours. Comment vit-on ce duel de l’intérieur ?

“C’est plutôt sympa d’être bord à bord avec Charles (Caudrelier). On a réussi à aller assez vite par rapport à lui au large de Recife, en arrivant dans l’Atlantique Sud. Avec la météo et les conditions de chacun, on fait parfois l’élastique. Cela reste une belle bataille, c’est cool de régater et de voir un autre trimaran à côté !”

“C’est le but de ces bateaux de tenir de telles vitesses”

Il n’y a pas eu de grosses différences en matière de stratégie entre vous deux. Comment l’expliquez-vous ?

“On est parti dimanche avec du vent au portant et la route était plutôt idéale. Il n’y a pas eu de gros choix tactiques à faire hormis quelques petits décalages de l’un ou de l’autre en fonction des variations de vent. On n’a pas eu beaucoup de vent dans la transition à Madère, puis il y a eu un front assez costaud à passer. La suite, cela a été du portant jusqu’au Pot-au-Noir, le passage de l’équateur avant de contourner l’anticyclone de Sainte-Hélène. Et là, on va bientôt attaquer au portant dans du vent un peu plus fort !”

Cela devrait bien s’accélérer dans les prochains jours…

“Oui cela va être le cas et forcément, il y aura un peu d’appréhension. On va attraper le haut d’une des dépressions qui tournent autour de l’Antarctique. Nous sommes sur le bon timing pour avoir une mer plate et du vent fort. Les vitesses théoriques sont assez élevées, certes, mais c’est le but de ces bateaux de tenir de telles vitesses. Ils ont été conçus pour cela. Et puis ce sont de super bords… Cela va le faire !”

Une fois le Cap de Bonne Espérance atteint, cela s’annonce plutôt complexe. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle étape ?

“Le Cap de Bonne Espérance est dans un peu plus de trois jours et j’avoue ne pas avoir trop regardé la suite pour l’instant. J’essaie de me concentrer sur les conditions du moment, de trouver la bonne trajectoire… Il va y avoir du vent plus soutenu et plus rapide pendant deux jours d’ici un petit vingt-quatre heures… L’océan Indien, on verra, je n’ai pas encore téléchargé les fichiers météos. Mais, je sais qu’à terre (à la cellule routage), ils en ont déjà un bon aperçu.”

“C’est un privilège, il faut en profiter.”

Pour revenir à votre début de course, Michel Desjoyeaux sous-entendait que cela avait été un avantage, par rapport aux autres, de naviguer les jours qui ont précédé le départ pour être d’attaque le Jour J…

“Bien sûr, si on avait eu à choisir, on n’aurait pas fait comme cela et on serait resté au village toute la semaine. Mais oui, naviguer l’avant-veille et la veille du départ, être sur mon bateau, cela a été positif. Et cela s’est vu, puisque j’ai pris un super départ et j’ai été dès le début parmi les premiers.”

Armel Le Cléac’h (Maxi Banque Populaire XI) s’est arrêté lundi, Charles Caudrelier a confié avoir eu des soucis de voile vendredi… Vous, pour l’instant, vous n’avez eu aucun souci technique ?

“Je n’ai pas eu de gros soucis, mais des petites bricoles, des trucs du quotidien. Il n’y a rien eu de très handicapant en matière de vitesse, donc, c’est hyper satisfaisant. Et cela fait seulement deux semaines que l’on a remis le bateau à l’eau !”

Dans les vidéos que vous envoyez, on a l’impression que vous prenez beaucoup de plaisir, c’est le cas ?

” Oui, je m’éclate avec ce bateau ! J’ai bien profité, le début de course est assez génial. Les bateaux ont des conditions propices pour voler et pour aller vite depuis le départ de Brest. C’est un privilège, il faut en profiter d’autant que tout se passe bien, je suis en tête et j’ai l’impression d’être dans le bon rythme.”

“J’étais ému de voir le bateau…”

Est-ce que vous pouvez décrire, justement, le meilleur moment que vous avez passé à bord depuis le départ, celui qui vous a le plus marqué ?

” Je crois que c’était un peu après Recife, en longeant les côtes brésiliennes. Cela commençait vraiment à accélérer, la mer était belle, le bateau était sous J2, c’était vraiment génial. Du pur vol, sans forcer. Je repensais un peu à tout… Je trouve cela merveilleux d’être à bord de SVR-Lazartigue. J’étais ému de voir le bateau aussi à l’aise et gagner quelques milles sur le Maxi Edmond de Rothschild.”

Repenser à tout, c’est une façon d’apprécier que tout se concrétise après des mois de travail ?

“À ce moment-là, cela ne faisait qu’une semaine que l’on avait remis le bateau à l’eau. J’étais en tête de ce tour du monde, sans gros problème technique. Cela montre le travail qui a été fait par l’équipe pour en arriver là. Il y a eu un super travail réalisé depuis longtemps, depuis la conception de ce bateau.”

On a appris que vous aviez embarqué trois boites d’œufs… Est-ce que vous vous êtes déjà fait une omelette et est-ce qu’ils “tiennent” encore ?

” J’en ai fini une hier et oui, cela tient ! Ils sont bien emballés… Cela se conserve bien, le seul problème, c’est que c’est fragile. À terre, ce n’est pas vraiment mon activité favorite de cuisiner, mais en mer, j’aime bien manger !”