Certains les voient déjà, d’autres les espèrent pour bientôt. Dès le franchissement du cap de Bonne-Espérance, les marins s’invitent au bal aérien des albatros, ces superstars de l’océan Indien.

La photo ci-dessus, sur laquelle volent le Maxi Edmond de Rothschild et une nuée de blanc et noir vêtue, est un document exceptionnel. Cette image a été prise par Niels Gins, scientifique et contrôleur des TAAF (Terres australes et antarctiques françaises), qui fait son métier de contrôleur à bord d’un bateau de pêche de l’armateur français Sapmer. Représentant le préfet des TAAF en tant qu’administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises, Niels Gins veille à l’application des mesures réglementaires et recueille les données essentielles pour le suivi scientifique de la pêcherie. Il est également chargé de capturer des images de la faune marine, des navires observés, y compris d’éventuels navires de pêche illégaux pour contrer la “pêche pirate”, ainsi que des événements particuliers ou rares, tels que le passage d’un voilier de course au large, précise la communication du Gitana Team. Les marins ne nous ont pas menti : là-bas, tout est gris – et magique.

“Il est là. Il tourne autour de moi, et c’est ce que je viens chercher. Je vois ça comme une rencontre, ce doit être moins poétique pour lui”. Thomas Coville était d’humeur contemplative et intimiste lorsqu’il prit le temps d’enregistrer un message audio, disponible sur le site officiel de la course, pour raconter sa première rencontre avec un albatros du grand sud. Le cap de Bonne-Espérance était déjà dans son dos et Sodebo Ultim 3 taillait déjà sa route dans l’océan Indien.

“Quand vous passez le cap de Bonne-Espérance, précise le marin, vous entrez dans le monde des albatros. C’est leur monde, pas le nôtre, comme si vous entriez dans un endroit sanctuarisé. C’est un beau moment. Je le dédie à tous ceux qui tournent autour du projet et notamment les membres de l’équipe qui m’entoure. Comme les albatros, ils sont là sans être là, ils tournent autour de moi, à l’affût (de la délivrance) d’un conseil, d’un petit mot, d’une attention. Dans ce qu’on fait, il y a de l’adversité, mais aussi beaucoup d’altérité, de chaleur, d’humain. Cet albatros porte cet esprit-là. C’est un peu ésotérique, mon histoire, c’est très émouvant pour moi.”

Trois skippers courent à leur rencontre. Armel Le Cléac’h et Anthony Marchand s’en rapprochent à grands pas. Le navigateur d’Actual Ultim 3 partageait ses impressions ce lundi : “On est dans un petit couloir avec moins de vent au vent, la zone des glaces à quelques milles… et Armel juste devant. On fait enfin la route vers l’est : bientôt Bonne-Espérance, ce qui sera une bonne chose de faite. Il commence à faire de plus en plus frais, les nuits sont très courtes, ce qui est super chouette.”

Dimanche soir, Éric Péron a fait le point du dimanche soir. Il était temps qu’il arrive : la semaine a été “assez active, avec beaucoup de choses à faire à bord du bateau, raconte le skipper de ADAGIO en souriant. Plein de petites péripéties, des bricoles, qui prennent du temps. Ma trajectoire en oblique à travers l’Atlantique sud nous permet d’aller un peu plus droit au but vers le cap de Bonne-Espérance, mais il n’y a pas beaucoup de vent ». À cette heure, ce lundi, le vent rentre et le trimaran archimédien tient bon train, et le marin a la santé : « Le bateau va bien, le bonhomme est à peu près reposé. Heureusement qu’il y a des temps morts ! La course est longue, il ne faut rien lâcher.”

Le point sur la course.

À l’avant, Charles Caudrelier caracole. Le skipper du Maxi Edmond de Rothschild a enchaîné quatre empannages au cours des 36 dernières heures, pour profiter à plein de la dépression qui le pousse depuis plusieurs jours. Ces manœuvres successives expliquent sans doute une moyenne journalière un peu en retrait par rapport à ces derniers jours (583 milles), mais les vitesses cibles tournent en permanence aux alentours de 30-34 nœuds. 1430 milles derrière, Thomas Coville exploite encore le vent de la dépression qu’il a cueillie – ou qui l’a cueilli – à l’entrée dans l’océan Indien. L’objectif du skipper de Sodebo Ultim 3 reste de sauter dans le système météo suivant, qui lui permettra de prendre le vent de l’autre bord et de redescendre en latitude. Naviguer au-dessus de l’orthodromie, comme c’est le cas actuellement, sous-entend qu’on se rallonge la route. Le marin fait au mieux avec ce qui lui est proposé, et il navigue régulièrement aux alentours des trente nœuds.

Demain après-midi, le Maxi Banque Populaire XI et Actual Ultim 3 franchiront le cap de Bonne-Espérance et entreront, une fois paré le cap des Aiguilles, dans l’océan Indien. Séparés d’une centaine de milles l’un de l’autre, les deux compagnons de route comptent un millier de milles de retard sur Thomas Coville. Plus loin, et plus haut, Éric Péron colle autant que possible à la ligne orthodromique, afin de minimiser le nombre de milles à parcourir en attendant de toucher des vents soutenus. Le compromis entre le choix du cap ou de la vitesse oscille parfois radicalement en faveur du cap. C’est ce que vivent ADAGIO et son skipper actuellement, à 4150 milles de Charles Caudrelier.

Arrivé au tout petit matin ce lundi au large de la ville du Cap, Tom Laperche a vu se dresser devant lui un mur de vent. Avec 50 à 60 nœuds le long de la côte, toute manœuvre d’accès au port était vouée à l’échec, et SVR – Lazartigue a dû être mis en stand-by, face au vent, dans l’attente de conditions meilleures. Le vent a fini par mollir, et quatre membres de l’équipe sont montés à bord de l’albatros blessé, dans la matinée. Sécurisation du bateau et analyse de l’avarie sont leurs deux missions du moment. Le skipper, lui, a été renvoyé à terre afin qu’il se repose et se remette de ces afflux d’émotions consécutifs à l’avarie subie par son bateau. Le vent soufflant encore abondamment, l’équipe technique n’a pas encore pu amarrer l’Ultim dans le port de Cape Town.