Championne olympique de la course aux points lors des Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996, Nathalie LANCIEN nous a accordé une interview dans laquelle elle est revenue sur sa très belle carrière de cycliste sur piste. De ses débuts à son titre olympique, en passant par la route, voici le récit d’une carrière orientée cyclisme dès le plus jeune âge.
Bonjour Nathalie. Pour commencer, à quel âge avez-vous commencé à faire du vélo, et qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce sport en particulier ?
“Il faut savoir que, toute petite, je faisais beaucoup d’activité sportive. Il fallait que je me dépense au quotidien. Dans ma famille, mon père était passionné de vélo, et en faisait, tout comme mon frère également. Je me plaisais donc à regarder des courses de vélo étant plus jeune avec eux, et ainsi les suivre dans ce qu’ils faisaient. C’est à l’âge de 14 ans que j’ai commencé à faire de la compétition sur la route, lorsque j’étais minime. Cette année-là, je termine 3ème des championnats de Bretagne cadette. Et l’année d’après, je remporte ces mêmes championnats, donc on peut dire que ça commence plutôt bien pour moi. À 16 ans, la Commission Technique Régionale (CTR) de Bretagne me propose de faire de la piste, une discipline que je ne connaissais pas à l’époque. J’ai donc dit oui, et il s’est avéré que le stage qu’ils m’avaient proposé a été très convaincant. Peu après dans l’année, je termine vice-championne de France de vitesse, à 16 ans toujours. L’année d’après, celle de mes 17 ans, je suis sélectionnée pour aller aux championnats du monde juniors, où je réalise la médaille d’argent.”
Est-ce qu’à ce moment-là, à 17 ans, vous réalisez ce que vous venez de faire ou pas du tout ?
“Non, pas vraiment. À ce moment-là, je suis surtout en pleine découverte d’une discipline, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. J’ai pris étape par étape, sans objectif précis. Je ne m’en suis pas trop rendu compte, parce que c’est vrai que quand on est junior, on n’est « qu’en primaire » comme on dit en cyclisme. Le chemin est encore très long jusqu’au circuit professionnel, qui n’est pas du tout pareil que les circuits junior ou espoir !”
D’où vous est venue cette passion pour le cyclisme ?
“Étant petite, j’étais passionnée par le sport en général : j’ai fait du basket, de l’athlétisme, du hockey… Je me suis mise au vélo parce que, lorsque j’allais sur les courses de mon père ou de mon frère, je trouvais qu’il y avait une bonne ambiance entre les coureurs du club. J’ai fait du vélo en fait parce qu’il fallait surtout que je fasse du sport ! Pas forcément parce que c’était une discipline sportive que j’appréciais particulièrement.”
Est-ce que c’était aussi prenant pour vous de faire ce sport qui, on le sait aujourd’hui, est un sport qui contraint à beaucoup de sacrifices ?
“Oui, absolument, je dirais même que c’était aussi prenant que maintenant en fait. Comme je le dis aux personnes qui me le demandent, je comptais mes entraînements par jour et non par semaine ! Je m’entraînais trois fois par jour. Donc évidemment, il y a beaucoup d’investissement, mais en fait, à partir du moment où on veut réussir quelque part, ce n’est pas forcément valable que dans le sport d’ailleurs, mais également dans les études supérieures par exemple, on doit faire des sacrifices pour y arriver, et on doit faire des choix. Mais c’est quelque chose de naturel en fait, il n’y a pas de miracles, il faut travailler pour pouvoir arriver à faire ce qu’on veut. Parfois, il y a des échecs, mais si vous arrivez à bien les analyser, alors ces échecs feront partie des victoires par la suite ! Il faut savoir rebondir, et prendre du recul et de la hauteur sur ce que l’on fait.”
Pourquoi s’être orienté sur le cyclisme sur piste et pas sur la route ?
“Sur la route, j’avais fait les championnats de France, mais lors de ma première participation, ma performance n’était pas convaincante. Et sur une autre année, j’avais subi un gros traumatisme crânien quelques jours avant, donc je n’avais pas pu y participer. Derrière, je suis sélectionnée pour les championnats de France sur piste, et c’est vrai que sur la piste, on a affaire à un entraînement très spécifique. On se réoriente naturellement en fait, sans savoir pourquoi, et c’est vrai qu’après, je n’ai pas trop souhaité retourner sur la route.”
Et pourquoi alors ? Vous n’avez donc jamais tenté de faire une carrière sur la route et la piste ?
“Non, non. Je ne me suis pas posé la question en fait. J’ai fait mon bonhomme de chemin. La route, je trouve, que c’est beaucoup plus ennuyant que la piste, parce que tout le monde part d’un endroit, chacun fait sa course, et l’arrivée est à un autre endroit. Alors que sur la piste, on est tous ensemble au milieu à encourager les autres, un peu comme l’athlétisme finalement. Ce n’est pas du tout pareil que la route.”
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
“Tous les évènements de ma carrière ont été magnifiques, quels qu’ils soient. Ce sont tous des étapes, et chaque étape était une découverte et un plaisir particulier et différent à chaque fois. Mais après, ce serait mentir que de dire que le titre olympique n’était pas le graal !”
Vous qui avez été médaillée d’or dans la course aux points lors des JO d’Atlanta en 1996, est-ce que ça a changé votre vie ce titre olympique ?
“Non, pas du tout. Mais ce qu’il faut savoir en fait, c’est qu’en 1996, il n’y a pas d’équipes professionnelles, il n’y a pas beaucoup de reconnaissance. Les médias mettaient beaucoup plus en lumière le cyclisme sur la route et du côté des hommes surtout. Alors c’est vrai qu’un titre chez les femmes, sur la piste, vous vous doutez bien que ça n’a pas attiré grand monde, à l’époque je parle. Mais bon, ça faisait partie des évolutions du sport comme dans chaque discipline finalement. Aujourd’hui, on voit cette évolution de la gent féminine dans tous les domaines !”
Est-ce que ça a été un regret pour vous de ne pas avoir été reconnue à la hauteur de votre exploit sportif ?
“Non, il n’y a pas de regrets, ça faisait partie de l’époque ! On ne peut pas changer l’environnement dans lequel on a évolué et dans lequel on évolue, vous savez ! Le seul regret que j’ai, c’est que ce ne soit pas en statu quo.”
Vous qui avez été également championne de France plusieurs fois sur plusieurs disciplines différentes (vitesse, kilomètre, course aux points…), en quoi est-ce important d’être polyvalente dans le cyclisme sur piste ? Est-ce qu’on se spécialise ?
“Comme en athlétisme, logiquement, oui, on se spécialise dans une discipline quand même. Mais moi, j’avais les qualités pour être polyvalente, donc c’est vrai que ça facilite les choses ! J’ai effectivement commencé la piste sur la discipline de la vitesse, car il n’y avait pas beaucoup d’autres disciplines à mon époque quand j’avais commencé. Mais c’est vrai que, comme je voulais aller aux Jeux Olympiques, et que dans chaque discipline de la piste, seule une femme pouvait y aller, c’était compliqué, parce que j’étais quand même dans les années de Félicia BALLANGER (5 fois championne du monde de vitesse, et double championne olympique de la discipline en 1996 et 2000). Donc, il fallait que je me réoriente pour pouvoir aller aux JO. J’avais vu que la course aux points arrivait en 1996, et je me suis dit que j’avais des qualités pour pouvoir y arriver ! Je suis donc championne de France devant Jeannie LONGO tout de même, et c’est à partir de ce moment-là que j’ai pris conscience de ce que je pouvais faire.”
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la course aux points ?
“Alors la course aux points, c’est une épreuve de demi-fond qui se déroule sur 25 kilomètres. Tous les deux kilomètres, il y a un sprint sur la ligne d’arrivée, qui rapporte des points pour les cinq premiers (5, 4, 3, 2 et 1 points). Celui qui possède le plus de points à l’arrivée remporte l’épreuve. Attention, car sur le dernier sprint, les points sont doublés, donc il faut bien se placer et faire constamment attention.”
Vous qui avez été plusieurs fois sur le podium des championnats du monde, est-ce que vous avez le regret de n’être jamais devenue championne du monde ?
“Non. Franchement, j’ai le titre olympique ! Si on analyse le sport plus globalement, mon palmarès, c’est déjà pas mal non ? Et puis, il n’y a pas beaucoup non plus de champions olympiques qui sont champions du monde !”
Récemment, la FFC a annoncé sa sélection pour l’équipe de France de la course en ligne, Victoire BERTEAU, Audrey CORDON-RAGOT et Juliette LABOUS. Evita MUZIC, en forme depuis le début de saison grâce à sa victoire sur la Vuelta, a été très déçue de cette sélection, pensant qu’elle méritait sa place. Que pensez-vous de la difficulté des sélectionneurs de choisir parmi un certain nombre de coureuses pour la sélection officielle ?
“Où c’est compliqué, c’est qu’aux Jeux Olympiques, il y a beaucoup moins de place qu’aux championnats du monde, parce que c’est régie par un quota. En sachant que vous avez deux épreuves, la course en ligne, et le contre-la-montre individuel. Il faut donc trois compétitrices, et sur ces trois, il en faut deux sur le contre-la-montre. Donc déjà, sur les trois, il faut en aligner deux sur les deux épreuves, et il faut donc qu’elles aient des compétences sur les deux courses. LABOUS et CORDON-RAGOT ont montré par le passé qu’elles avaient les capacités pour le faire. Après ça, il ne reste donc plus qu’une seule place. Et, ce dernier choix, il peut dépendre du dénivelé de la course en ligne, s’il y a beaucoup de cols, de relances, de faux plat… Par rapport à ce parcours, est-ce qu’il y a une grande d’arrivée au sprint, est-ce que c’est plus pour les puncheuses… Bon. Le sélectionneur prend tout ça en compte ! La chance aussi que le sélectionneur a, avec MUZIC, mais avec d’autres aussi, c’est que plus, on a d’athlètes en formes, plus on a de chance de médailles ! C’est bien, mais derrière, il y aura forcément des déçues. Mais je préfère qu’on ai des déçues, plutôt qu’il n’y en ai pas ! Il y a tellement de paramètres à prendre en compte… Plus on s’y prend tard pour la sélection, plus on retarde la préparation de nos coureuses ! Et pour les Jeux Olympiques, il faut avoir une bonne préparation pour être performant !”