Dimanche 11 mai, au marathon de la Loire à Saumur, Inès-Marie DUCANCELLE se lançait sur son premier marathon. Avec un chrono de 2h 39m 40s, elle s’impose chez les femmes et prend la 26e place du général. Une magnifique performance. Elle revient avec nous sur sa victoire et sur ce qui la motive à performer au quotidien.

Bonjour Inès, Racontez-nous un petit peu vos sensations sur le marathon de la Loire ?

« Je ne pouvais pas rêver mieux, c’était une première expérience, donc on part un peu à l’inconnu au niveau de la performance. J’avais l’optique de faire 2h40 mais je partais très défaitiste. Finalement, c’était une belle victoire, un plaisir du début jusqu’à la fin, que du positif pour la suite. Pendant la course, j’ai testé des chaussures neuves, chose qu’il ne faut surtout pas faire, donc là, je me suis dit que c’était mort, que mes chaussures ne conviendraient pas, que j’allais craquer. Et en fait, au fur et à mesure de la course, je ne sais pas, je me suis mis dans ma bulle, petit à petit ça allait mieux. Mais sur les derniers kilomètres, tu sens qu’il faut mettre son cerveau en off, qu’il ne faut plus compter sur ses jambes, qu’il faut surtout compter sur sa tête et son cœur. C’est un petit peu l’activation d’un mode robot et c’est l’état d’esprit qui prend le contrôle. Je suis restée lucide et c’est ça qui m’a permis de garder du plaisir, je n’étais pas en souffrance, j’ai vraiment aimé. »

Vous aviez déjà participé à des semi-marathons, quelles sont les plus grosses différences avec un marathon ?

« Beaucoup de personnes ont tendance à penser qu’un marathon, c’est deux semis. Sur le plan statistique, oui, c’est ça. Mais dans les faits, ça n’a rien à voir. Selon moi, c’est vraiment une discipline à part parce qu’on est beaucoup plus dans la quête de soi, la résilience, la sagesse. Il faut savoir à la fois écouter son corps, ses sensations. Dans un semi, il n’y a pas cet aspect un peu découvert de soi et de gestion de son corps. Oui, on reste à l’écoute de son corps, mais, personnellement, je trouve qu’un semi, c’est trop rapide, on n’a pas trop le temps de se mettre dans sa bulle, de se créer une histoire. Un marathon, on a 2h40 pour réfléchir, c’est ce côté-là que j’aime vraiment, puis il y a tout ce qui va avec. En fait, on peut penser qu’un marathon, c’est que les jambes ; en réalité, il y a une préparation nutritionnelle à avoir, une préparation physique au niveau des muscles. »

Donc il y a vraiment cette connaissance du corps dans la préparation ?

« C’est ça, un marathon, c’est vraiment une connaissance de soi. Après un semi, il y a pas mal de facteurs de performance plutôt qu’une quête de soi, parce que c’est 21 kilomètres. Donc tu peux partir très vite, sans être obligé de te freiner dès le début. Alors qu’un marathon, si tu pars très vite, tu sais très bien que tu ne vas pas terminer. Il faut savoir s’écouter, être en phase avec son corps et sa tête, et quand il y a les deux qui marchent ensemble, je pense que c’est le meilleur moyen de performer. À l’arrivée, sur deux personnes qui ont la même VMA, c’est celle qui aura appris le mieux à se connaitre qui fera sûrement une plus belle performance. »

Comment est-ce que vous vous êtes préparée en amont ? Vous avez parlé de nutrition ?

« Oui, sur le plan théorique, c’est ce qu’il faut faire. Moi, ma victoire, c’est doublement un exploit, car j’ai été le pire exemple. J’ai vraiment fait tout ce qu’il ne fallait pas faire, je n’avais pas de préparation. En deux semaines, j’ai fait seulement un semi, un 5 km, un 10 km et une sortie longue. Donc c’était court, mais très intense. Je pense que, finalement, j’ai réussi un peu à surfer sur cette forme pour faire un bon chrono. Honnêtement, j’ai tout de suite vu qu’au 35e km, il me manquait ce petit gain de préparation pour faire encore un meilleur chrono. Mais après, je me dis qu’en faisant ce chrono-là et avec une préparation si incomplète et pas très assidue, j’ai des marges de progression énormes. Ça me motive encore plus à faire une belle préparation pour voir jusqu’où je peux aller. »

Pendant la course, comment organisez-vous votre gestion ?

« Moi, je pense que ce qui me faisait le plus peur à la course, ce n’est pas tellement la distance, mais encore une fois, la nutrition. Quand on fait 42 km, on est obligé de s’alimenter, sinon on ne peut pas terminer. Peu importe le niveau qu’on a, il faut s’alimenter, c’est physiologique. Le corps, au bout d’une heure, il n’a plus de glucides. J’ai eu la chance d’avoir un ravitaillement élite, tous les cinq kilomètres, j’avais mis des gels et des barres, si jamais j’avais une petite chute d’énergie. Même si je ne les prenais pas, je les avais. Par conséquent, dans ma tête j’avais une petite confiance. Par rapport à ma gestion d’effort, c’est à la fois savoir à quelle allure on est censé tenir, tout en maintenant cette gestion nutritionnelle. Et ça a marché, parce que finalement mon intestin, il a tenu. Ça, c’est l’une des plus belles victoires, parce que je suis très sensible à la base. C’était vraiment une double performance. À un moment, je m’étais dit que le marathon ce n’était pas fait pour moi, parce que mon corps ne pourrait pas aller au bout de l’effort sur le plan nutritionnel, sur le plan digestif. Et ça, c’est encore plus frustrant, parce que ce n’est pas lié à ton niveau de forme ou ta performance, c’est lié à un problème biologique et organique. Là, du coup, j’ai vu qu’en réalité, non, finalement, cette barrière-là, elle n’est plus là, mon corps a tenu et je peux en faire d’autres. Ce n’est pas impossible. »

Qu’est-ce que vous avez ressenti quand vous avez gagné ?

« Au départ, j’avais un chrono à faire, mais si on court pour le temps et pour le chrono, je pense que ça va plus te bloquer qu’autre chose. Quand je suis partie, je m’écoutais, je vivais vraiment l’instant présent. Je ne regardais pas trop le chrono ; à la place de regarder tout le temps, j’avais mis un laps tous les cinq kilomètres. J’avais quand même une petite base du chrono pour savoir dans quelle allure j’étais et c’était plutôt régulier. Dans les derniers 200 mètres, je voyais un peu le compte à rebours sur la ligne d’arrivée ; là, je me disais : « Les 2h40, tu les as. » Les dernières minutes, j’ai su que c’était bon. Après un marathon, c’est jusqu’au bout ; il peut se passer n’importe quoi jusqu’à la fin, donc il ne faut jamais rester sur ses acquis, il ne faut jamais être sûr de soi. C’est vraiment à la ligne d’arrivée où j’ai réalisé le chrono. »

Dans la finalité, vous avez pris du plaisir sur votre course ?

« Oui, même dans la souffrance du dernier kilomètre, j’ai tout donné, et quand tu te dépasses, tu es fière de toi, donc franchement non, aucun regret et plutôt fière de moi. En termes d’ambiance aussi, Saumur, c’est mon premier marathon, donc je ne peux pas vraiment comparer parce que je n’ai pas un grand bagage sur ma checklist. En revanche, j’avais fait Valence pour accompagner des amis, qui est un super marathon pour la performance, mais honnêtement courir dans la ville, faire des tours en rond, aller sur la rocade, je n’ai pas du tout aimé. Là, au marathon de la Loire, on est au bord de l’eau, il y a des paysages différents, tu te sens dépaysé tout en étant dans un effort, et ça, c’était génial, même le niveau du parcours. C’était convivial, simple, frais et bon quoi. Les spectateurs étaient bien présents, il y avait des musiciens à chaque kilomètre, c’était vraiment chouette. Je pense que ça aide énormément pour les coureurs, le cadre est parfait. Vraiment une très belle expérience. »

Vous avez rencontré des personnes grâce au running, est-ce qu’il y a vraiment cet esprit de communauté chez les coureurs ?

« Oui, avant le marathon, je n’avais plus de coach, je me suis entraînée toute seule, c’était très dur, je ne voyais plus l’intérêt d’y participer. Mais j’ai eu la chance de rencontrer d’autres personnes sur d’autres semis, dont Philippe, qui m’a un peu reboostée pour le faire avec lui. Et puis je me suis dit, on m’a invitée à cet événement, tu ne peux pas, par respect pour eux, annuler. Le plus grand des échecs, justement, c’est de ne pas essayer. C’est grâce à cette communauté que je continue encore aujourd’hui, c’est parce qu’au-delà de la performance et de la course, tu rencontres des gens incroyables qui sont passionnés comme toi. On a beau critiquer les réseaux sur le bourrage de crâne et autres, mais franchement, grâce à ça, j’ai pu rencontrer des familles qui sont vraiment incroyables, ils me soutiennent. Par exemple, certains ont des enfants qui sont atteints de cancer et ils courent pour eux. Quand je vois ça, que je suis une source d’inspiration pour eux, c’est la plus belle des victoires, c’est vraiment de rester soi-même tout en inspirant les autres. Il n’y a pas que la performance, il n’y a pas que le chrono, il y a aussi ce partage de valeurs du sport, pour moi ça vaut bien plus. »

C’est important pour vous d’être une inspiration, de montrer que c’est possible d’y arriver ?

« Honnêtement, je suis loin d’être un modèle. Au niveau de la préparation, je fais vraiment tout ce qu’il ne faut pas faire, je sors un peu des cadres. Et pourtant, juste montrer qu’on est tous différents. À partir du moment où tu écoutes tes propres envies, ton propre corps et ton esprit, normalement tout peut bien se passer. Je pense qu’il faut aussi arrêter de se comparer, on a tous des histoires à raconter et si on peut transformer ces histoires en force pour d’autres, en espoir, et bien alors comme accomplissement, il n’y a rien de plus beau. C’est une victoire bien plus honorée pour moi, bien plus forte que le chrono en lui-même. Oui, il y a un sentiment de fierté de pouvoir dire que c’est possible, parce que je pense qu’il y en a beaucoup qui sont dans le besoin, qui n’essayent pas, qui ont peur, qui se comparent ou qui se disent que tant qu’ils sont malades, c’est plus possible. J’ai fait partie de ces gens-là il y a quelques années avec tous mes problèmes de santé. Finalement, je me suis dit : « Inès, tu ne peux pas arrêter ta vie à 20 ans, essaie de voir des choses minimes du quotidien qui te rendent heureuse, en sachant que tu sais que tu vas mourir. » Je ne suis pas fataliste, mais je vis l’instant comme si c’était le dernier. J’aime aider les autres, j’aime le social, j’aime le sport, j’aime la santé et, en fait, rallier toutes ces valeurs et toutes ces passions, en faire un peu mon combat, une force pour les autres, une résilience. Ça me permet de m’élever chaque jour un peu plus. »

Si on se projette un petit peu, est-ce que vous avez des échéances, des défis que vous voulez relever ?

« Oui, j’ai été invitée de nouveau au marathon de La Baule, je ne sais pas si je vais le faire, mais vu le bon retour, le bon pressenti que j’ai eu avec mon premier marathon à Saumur. Je me dis, pourquoi pas en faire un deuxième, avec une vraie préparation cette fois-ci. Autrement, j’ai les championnats de France de semi en septembre, donc ça pourrait être intégré dans ma préparation niveau stratégie. Après, les courses qui arrivent prochainement, ce sont plus des courses plaisir et caritatives. Je suis, par exemple, marraine du Marathon Relais Inter-Entreprises. J’ai beaucoup de demandes et c’est ça qui est compliqué, parce que j’ai envie de dire oui à tout le monde et en même temps je pense qu’il faut aussi s’écouter. Plus tard, je pars plutôt sur tout ce qui est Trail et ultra ; j’ai été invitée à l’Ultra Marin, mais je ne suis pas encore sûre de m’y rendre. Je pense que je vais profiter de la période des vacances pour prendre une pause, parce que c’est bien aussi de se régénérer et d’avoir du repos. »