La tension se fait plus palpable sur les quais et les pontons, et une certaine solennité commence à flotter dans l’air de la Cité Corsaire. À moins de trois jours du grand départ, les 138 solitaires prennent toute la mesure du défi qui les attend sur cette 12e Route du Rhum – Destination Guadeloupe entre la Ville de Saint-Malo et Pointe-à-Pitre de l’autre côté de l’Atlantique. L’impatience d’y aller, le trac lié à l’envie de bien faire, mêlé aux appréhensions, voire la peur que lèvent les dernières prévisions météorologiques, sont réels. Autant de sentiments qui se mélangent et se renforcent à l’approche du lever de rideau sur ce face-à-face avec l’océan, annoncé à la hauteur de sa réputation.

Une course de légende, la reine des transats. Les épithètes à valeur superlative s’accumulent dans les sillages de La Route du Rhum – Destination Guadeloupe qui revient tous les quatre ans avec la régularité d’un métronome pour donner libre cours à une chevauchée océanique sur son immuable parcours de 3 542 milles (6 560 km). Sur son célèbre tracé – entre les bourrasques de l’automne le long de la Côte d’Emeraude et la douceur tropicale aux abords de l’île en forme de papillon – la course exige de composer avec la mer et le vent pour toujours bien arbitrer entre la quête de vitesse et de performance, et l’inévitable nécessité de préserver sa machine. Avec trois marques de parcours : la bouée CIC – Cap Fréhel, la Tête-à-l’anglais (îlot au Nord de la Guadeloupe), et la Bouée Basse-Terre à l’entrée du canal des Saintes, elle s’inscrit sous le signe de la liberté sur un terrain de jeu laissé grand ouvert à travers l’Atlantique, d’Est en Ouest.

Un parcours libre et ouvert.

Et s’il évite les nombreux points de passage obligés, notamment au niveau de la pointe de Bretagne, ce parcours qui fait la part belle à l’art de tracer sa propre trajectoire, laisse aussi toujours l’opportunité au bon sens marin de l’emporter. « C’est un parcours mythique mais aussi technique et complexe, car il faut sortir de la Manche. À cette époque de l’année, des grosses dépressions viennent vers nous comme on le voit dans la situation actuelle. Il faut gérer au mieux la prise de risque en fonction de la force du vent et de l’état de la mer pour descendre vers le sud avec le moins de dégâts possibles, » souligne Giancarlo Pedote (Prysmian Group), qui connaît la route et son bateau. Comme ses concurrents de la catégorie IMOCA, ces monocoques taillés pour le tour du monde en solitaire, il figure sans aucun doute parmi l’un des mieux armés pour faire le dos rond et affronter le gros temps.

Giancarlo Pedote, skipper de l’IMOCA Prysmian Group à l’entrainement avant le départ du Vendée Globe 2020-21, Bretagne sud le 25 septembre 2020, Photo © Jean-Marie LIOT / Prysmian Group

Du côté météo, les derniers fichiers laissent peu de doutes sur la teneur du début de course. Ce sera costaud, et assurément rugueux. Avec un système dépressionnaire bien installé sur l’Atlantique, c’est au rythme d’une succession de fronts qu’il faudra plonger dans le grand bain. Du près musclé d’entrée de jeu et un golfe de Gascogne fidèle à sa réputation composent un scénario météo qui pourrait se dégrader nettement lundi sous l’effet d’une dépression creuse générant un front froid très actif. De quoi laisser planer la menace « de vents de 50 à 55 nœuds dans le nord de la perturbation et des creux de 6 à 7 mètres vers lle arge pour la journée de lundi, »  indique Cyrille Duschene de Meteo Consult dans son bulletin du jour. Et « mettre les marins à rude épreuve, » ajoute ce matin le prévisionniste. « Dès Ouessant, et même avant, il y a de la mer et des conditions de vent qui sont celles d’un mois de novembre. Il n’y a pas de surprise. La Route du Rhum – Destination Guadeloupe a écrit son histoire avec ces conditions. Je souhaite à tous les concurrents le meilleur, j’aurais préféré une meilleure météo, il n’empêche que je ne suis pas inquiet de leur savoir-faire, » complète de son côté Francis Le Goff, directeur de course.

Impatience, peur, etc.

Pour autant, quelle que soit l’intensité de ce coup de chien, c’est bien sous le signe d’une navigation au louvoyage dans la brise et sur mer très formée que débutera cette 12è Route du Rhum – Destination Guadeloupe.  « Dès la première nuit, il faudra faire face à la tempête. Je me sens prêt pour ça. J’attends avec impatience d’avoir une idée plus précise des options qui s’offrent à nous afin de faire les bons choix, ne pas casser le bateau et tout donner. Il faut parfois savoir ménager nos multicoques et donc ralentir pour bien gérer, » indique Éric Peron (Komilfo). Pour sa première participation, ce fin expert de la navigation en solitaire compte aussi sur son bateau « le plus marin, le plus 4X4 avec ses coques les plus volumineuses. Dans du vent fort et de la mer formée, c’est un atout, » se rassure-t-il à quelques jours du coup d’envoi dans la classe des huit Ocean Fifty, la plus engagée de toute la flotte hétéroclite. « J’ai peur, mais je vais être à 200% dimanche et faire un beau départ parce que j’adore ça. J’aurai tous ces marins que j’admire autour de moi, je viens pour ça, » souligne quant à lui Arthur Le Vaillant (Mieux), paré à faire son plongeon à bord de son Ultim 32/23 dans cette course qui a bercé son enfance.

Du côté des 55 Class40, des 12 Rhum Mono et des 17 Rhum Multi, la joie de bientôt réaliser un rêve pour une grande première, le plaisir de revenir pour prendre sa revanche ou rééditer au chapitre du coup d’éclat sont les motivations qui se compilent malgré la peur de se lancer. Elles sont autant de moteurs que partagent les 138 protagonistes de cette 12e Route du Rhum – Destination Guadeloupe. Sur son parcours simple inscrit sous le signe de la liberté, l’escale technique et l’assistance y sont autorisées, laissant toujours l’opportunité à chacun de tracer sa propre trajectoire. Et sa propre histoire…

Ils ont dit :

Francis Joyon (Idec Sport, Ultim 32/23) :  «  La concurrence est plus relevée avec plusieurs bateaux qui existaient il y a quatre ans et ont été mis au point et les nouveaux qui ont tiré les enseignements. La concurrence sera plus rude. Par rapport aux conditions attendues, j’ai de la curiosité plus que de l’appréhension. Est ce que ce sera plus fort que ce que j’ai déjà connu au près ? Ce sera intéressant à voir ! Entre casser, parce qu’un bateau est trop neuf et pas assez éprouvé comme peuvent l’être mes concurrents, et casser parce qu’il est trop vieux et que le matériel est d’origine comme le mien, la question reste ouverte… »

Sacha Daunar (Bateau Cit’Hôtel – Région Guadeloupe, Class40) : « Les 48 premières heures de course s’annoncent très sportives. Certains pourraient se mettre à l’abri si les conditions se dégradent pour attendre que le gros passe avant de reprendre la mer. Je vais attendre de voir comment je me sens sur le bateau et comment les conditions sont fortes avant de savoir si je préfère attendre, ou y aller. »

Olivier Nemsguern (ELORA / Rhum Mono) : « Je me doutais qu’il y allait avoir des moments pas faciles, j’aurais préféré commencer par deux jours plus relax. J’improviserai de toute façon ! Je ne partirai pas pour aller prendre 50 nœuds, ce ne serait pas marin, d’autant qu’il y a les rails, les pêcheurs, etc… J’espère que ce ne sera que plus fort que ce qu’ils ont annoncé pour le premier front, sinon j’ai mon port fétiche, Camaret, où j’adore m’arrêter. Je sais qu’ils font d’excellentes crêpes ! Je verrai… Mon premier objectif c’est de traverser et d’arriver de l’autre côté. »

Baptiste Hulin (Rennes / Saint-Malo / Mer Entreprendre, Class40) : « Ça va être costaud, ça va même être viril. Je pense qu’il va falloir être bien prêt et que le mental va devoir prendre le dessus à un moment donné. On va surtout essayer d’être concentré, de ne pas faire de grosse bêtise, de ne pas avoir peur de souffrir. Mais je suis content ! Je préfère partir dans de l’air, même fort que dans pas trop de vent. Ma hantise, c’est de repartir comme sur la transat l’année dernière dans du petit temps. Je suis plutôt content, ça va être une sacrée aventure. »

Roland Jourdain (We Explore / Rhum Multi) : « Les conditions au moment du départ seront toniques, mais pas dramatiques. La première après-midi devrait bien se passer. Le questionnement, c’est sur le passage de la pointe bretonne. On devrait avoir 6 mètres de houle assez rapprochée, avec un fort courant de marée. Globalement, les coureurs pensent tourner à gauche à ce niveau-là pour aller chercher le moins de mer possible dans le golfe de Gascogne. We Explore n’a pas encore affronté ce type de conditions mais je me poserais les mêmes questions si je naviguais sur n’importe quel autre bateau de la catégorie Rhum. Je vais rester à l’écoute des éléments et d’un éventuel consensus avec les coureurs de la catégorie. On verra bien comment les choses évoluent d’ici dimanche ».

Manuel Cousin (Groupe Sétin / IMOCA) : « C’est La Route du Rhum, nous allons encore écrire une page de son histoire. La météo va être difficile dans les premières 48 heures au moins. La Route du Rhum a toujours été un peu compliquée au départ. C’est l’Atlantique nord en novembre, on ne peut pas vraiment espérer autre chose. C’est logique que les dépressions passent. A nous de les gérer, nous avons des bateaux faits pour mais il ne faut pas faire de bêtises car le moindre problème technique peut vite être compliqué à gérer. Après ces premiers jours difficiles, on devrait pouvoir se faire bien plaisir. »

Paroles de marin – François Gabart : « Il risque de ne pas y avoir d’échappatoire »

À l’occasion d’un point presse ce jeudi matin, les journalistes retrouvaient François Gabart (SVR Lazartigue) comme s’ils l’avaient quitté il y a quatre ans à Pointe-à-Pitre. Moins fatigué sans doute qu’après sa Route du Rhum – Destination Guadeloupe d’anthologie, perdue pour 428 secondes… Le skipper est toujours disponible, affable, avec son regard clair derrière lequel perce une détermination intacte. De quoi aborder avec sérénité et une concentration extrême le départ, dimanche prochain.

La vie du village : la venue du Président de la République.

Emmanuel Macron est attendu ce dimanche au départ de La Route du Rhum – Destination Guadeloupe. Le Président de la République a répondu à une invitation officielle du maire de Saint-Malo, Gilles Lurton. Il embarquera sur une frégate de la Marine nationale afin d’assister au départ. Jamais un Président de la République en exercice ne s’était rendu au départ de La Route du Rhum – Destination Guadeloupe. Un seul Premier ministre était déjà venu, Édouard Balladur, en 1994, sous la présidence de François Mitterrand.

J-3 avant le départ de La Route du Rhum – Destination Guadeloupe virtuelle !

Le départ de La Route du Rhum – Destination Guadeloupe sera donné ce dimanche à 13h02 sur Virtual Regatta Offshore comme pour les 138 skippers en lice sur la course. Au programme : 3542 milles entre Saint-Malo et la Guadeloupe. Le principe est simple : pour l’emporter, il faut couper le premier la ligne d’arrivée à Pointe-à-Pitre !

Il y a quatre ans, La Route du Rhum – Destination Guadeloupe avait séduit quelque 450.000 joueurs sur Virtual Regatta Offshore. Cette année, ce record devrait être battu tant l’engouement pour la voile virtuelle ne cesse de croître année après année. « Virtual Regatta Offshore permet à tous ceux qui le souhaitent de participer aux plus grandes courses océaniques telles que La Route du Rhum – Destination Guadeloupe. Le jeu rencontre un vrai succès, aussi bien auprès des passionnés que des néophytes », commente Ivan Pavlovic, directeur général adjoint de Virtual Regatta. « A trois jours du départ, nous invitons tous les aficionados de voile à s’inscrire sur la course dans l’une des quatre Classes : Ultim, IMOCA, Ocean Fifty et Class40 », poursuit-il.